La question posée concerne non pas l’impact de la maladie elle-même mais l’impact d’une conséquence importante qui est le confinement ou l’ensemble des mesures de prévention, de protection prises par le Gouvernement Ivoirien, à l’image de gouvernements d’autres pays. Ces mesures barrières concernent la fermeture des maquis, bars, restaurants, l’isolement du ‘’Grand Abidjan’’, les dispositions de limitations du nombre de personnes lors des rassemblements, la limitation du nombre de places dans les véhicules de transport en commun, etc.
En matière d’impact, ce que nous essayons de faire à la CAPEC avec d’autres institutions, c’est de pouvoir faire des évaluations.
Au niveau microéconomique, l’on note des pertes d’emplois et de revenus des ménages, des violences faites aux femmes, des charges de travail des femmes à la maison du fait du confinement des enfants, l’accroissement des dépenses alimentaires, alors que les revenus baissent, etc). Il y a eu des enquêtes réalisées par l’Institut National des Statistiques (INS) avec l’accompagnement du PNUD et de la Banque Mondiale sur la période du 11 au 18 avril 2020, juste un mois après la prise des mesures. Au total, il est enregistré à mi-avril 2020 (enquête réalisée du 11 au 18 avril 2020) une perte effective d’emplois de 22 962 soit 4,03% des emplois modernes (22 224 emplois soit 3,9% pour les PME) contre 738 pour les grandes entreprises soit 0,13%) relativement aux emplois modernes des entreprises enregistrées dans la banque de données financières de l’INS (2017). Les secteurs les plus affectés en matière d’emplois sont : le secteur du transport et de l’entreposage : baisse de 53,5% ; le secteur de l’hébergement et de la restauration : baisse de 37,2%, et le secteur de l’agroalimentaire une baisse de 29,7%.
En ce qui concerne les unités de productions industrielles (UPI), par rapport à mars 2019, 1 656 595 CUPI soit 88,1% ont connu une baisse de leur chiffre d’affaire dès la survenance de la crise (mars 2020). Dans l’ensemble plus de 94% des chefs d’UPI estiment que la crise sanitaire affecte leurs activités. Abidjan est la plus touchée avec une proportion de 98,7% de ces UPI.
Plus de la moitié des ménages (71,7%) ont subi une baisse du revenu. Le revenu moyen annuel des chefs de ménages passe de 722 801,8 FCFA à 405 770,4 FCFA soit une baisse moyenne de 43,9%. Plus de 31,5% des chefs de ménages ressentent une baisse du revenu variant entre 45% et 65%. 57,7% des ménages ont subi une augmentation de leurs dépenses alimentaires, 47% de leurs dépenses en communication et 25,6% de leurs dépenses non alimentaires (gel hydro alcoolique, masque, seau, etc.). On note que 45,2 % passent d’un statut de non pauvres à pauvres, soit 1 620 777 ménages supplémentaires. La situation de pauvreté de 16,51% de ménages s’est empirée du fait qu’ils étaient en dessous de la ligne de pauvreté avant la crise sanitaire et leur revenu a encore baissé (en moyenne de 30%). Cette situation les rend davantage très vulnérables.
Au niveau macroéconomique, la CAPEC a réalisé une étude qui a montré que le plan de riposte sanitaire et de prévention incluant les mesures de distanciation et l’isolement du Grand Abidjan entraînaient des pertes de temps de travail, et il faut s’attendre à une baisse des investissements directs étrangers parce que la crise sanitaire est mondiale et touche quasiment tous les pays à la fois. Selon un rapport de la CNUCED publié le 27 mars 2020 , le déclenchement et l’expansion de la pandémie du Covid-19 entraînera une baisse dramatique dans les flux des Investissements Directs Etrangers (IDE). Les révisions des plans d’investissements des plus grandes firmes multinationales indiquent que la baisse des IDE pourrait être de -30% à -40% en 2020-2021. En moyenne, les 5000 plus grandes entreprises multinationales dans le monde, ont révisé à la baisse d’environ 30% leurs prévisions d’investissements en 2020 et cette baisse pourrait s’accentuer.
Ces éléments mis ensemble, ont montré à travers les analyses réalisées pour le compte du Ministère de l’Economie et des Finances, qu’il y a une baisse de la croissance économique de 3,6 points de pourcentage par rapport à la prévision de 7,2% pour 2020, soit un taux de croissance économique de 3,6%, si la crise est maîtrisée d’ici fin juin 2020.
Un autre scénario plus pessimiste, prévoit une baisse de 5,7 points de pourcentage par rapport à la prévision initiale de 2020, soit un taux de croissance de 1,5% si le gouvernement ne prend aucune mesure. Un scénario catastrophique donne une croissance proche de 0 ou même négative si la crise dure plus longtemps et rien n’est fait.
Les secteurs les plus affectés demeurent ceux de l’hôtellerie, de la restauration, du transport, de l’industrie mais aussi des finances. Ce dernier secteur sera impacté parce que les entreprises ou les ménages ayant emprunté ne pourront plus rembourser les prêts à échéance. Au niveau de l’Etat, les recettes fiscales baissent parce que les entreprises n’arrivent plus à payer les impôts.
Ces prévisions ex-ante de l’impact macroéconomique de la pandémie, réalisée en mars 2020, devront être réévaluées au regard des mesures prises par le Gouvernement à travers le plan de riposte social, économique et humanitaire de 1700 milliards de FCFA, annoncé par Monsieur le Premier Ministre le 30 mars 2020 et qui est en cours de mise en œuvre. Ce plan consiste en des transferts aux ménages les plus vulnérables, à ceux qui ont perdu leurs emplois surtout dans le secteur formel, en des appuis aux entreprises formelles et informelles et à certains secteurs stratégiques de production au niveau agricole, etc. Toutes ces mesures prises par le Gouvernement Ivoirien devraient permettre de mitiger, de réduire les impacts estimés ou les impacts anticipés de la pandémie sur les ménages, les entreprises voire sur les finances publiques. La CAPEC se réjouit d’avoir contribué auprès des services compétents du Ministère de l’Economie et des Finances (MEF) et de toutes les parties prenantes à l’identification de ces mesures de riposte.
Une évaluation ex-post, qui prend en compte les effets de la pandémie sur l’offre et la demande, ainsi que les mesures prises, apparaît nécessaire à présent pour mieux cerner l’effet net de la Covid-19 sur l’économie ivoirienne, tout en considérant l’incertitude quant à la fin de la crise sanitaire tant au niveau national que mondial. La démarche d’évaluation des impacts (microéconomiques et macroéconomiques) de la crise sanitaire et des mesures prises, devra ainsi se faire de façon dynamique (mise à jour des hypothèses/ mesures, dans les simulations et reconduction des enquêtes), pour avoir des résultats plus proches de la réalité au fur et à mesure de l’évolution de la crise et de l’environnement socio-économique.
Propos recueillis par Mayane YAPO, Chargée de la Communication et de la Visibilité de la CAPEC