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INTERVIEW

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Dr YEO Nahoua
Enseignant-chercheur

C’est aux promoteurs de faire en sorte que cette monnaie soit autant fiable que les billets de banque

  • Publié le 14 Févr, 2019

BRM / CREATION D’UNE MONNAIE NUMERIQUE VIRTUELLE

Une monnaie numérique, le e-CFA s’apprête à voir le jour en Afrique de l’Ouest. Son mode de fonctionnement, ses avantages et les risques qui lui sont liés ? Tout cela est développé par Dr YEO Nahoua, Chercheur à la CAPEC, dans cette interview réalisée le 27 janvier 2017, par Kolo Coulibaly, Journaliste à Radio CI.

Quelle est cette Monnaie que les initiateurs, au départ, ont appelée e-cfa ?

La Monnaie Numérique que va promouvoir la Banque Régionale des Marchés (BRM), est une monnaie dans l’espace UEMOA. Il faut distinguer en cela deux types de monnaies numériques : les monnaies électroniques avec des moyens de paiements mobiles et les monnaies numériques virtuelles qui elles, n’ont pas besoin de passer par le système de paiement classique que constitue les banques et les établissements de crédits. Il s’agira donc d’une monnaie qui va permettre des paiements décentralisés vis-à-vis du système classique.

Cela signifie qu’il y a une dématérialisation du billet ou de la monnaie physique. Mais comment fonctionnera donc concrètement cette monnaie numérique ?

C’est vraiment une dématérialisation poussée parce qu’il faut dire que la monnaie électronique simple est déjà une dématérialisation. Mais là, il s’agit d’une monnaie numérique virtuelle, donc d’une dématérialisation poussée parce qu’ici, vous n’avez pas besoin de pièces, de billets représentant la monnaie fiduciaire pour effectuer des échanges. Maintenant, comment cela fonctionne?

Il y aura un promoteur qui va émettre cette monnaie, en garantir la convertibilité et un taux de change en vigueur. Cela va se passer dans un système où, l’individu qui veut intégrer ce système pour acquérir cette monnaie, devra détenir cette monnaie sous forme de portefeuille mobile (comme un compte de mobile money), qui lui permettra d’effectuer des transactions en achetant d’autres monnaies et de pouvoir faire des paiements de biens et services.

Est-ce que cela veut dire que ce sera lié au compte en banque traditionnelle? Comment crée-t-on ce compte virtuel, numérique et comment fait-on des transactions avec?

Bien évidemment, comme je le disais tantôt, la monnaie numérique n’est pas liée au système de banque classique. Cela veut dire que si vous détenez un portefeuille de monnaie mobile, vous allez acquérir la monnaie virtuelle et cette monnaie, vous pouvez l’utiliser pour faire n’importe quelle transaction sans passer par la banque. On fonctionne déjà avec de la monnaie électronique agréée qu’émettent certains établissements agréés auprès de la BCEAO, ce sera le même type de fonctionnement. Sauf qu’ici, la monnaie électronique simple que nous avions était liée à un compte, mais celui de la monnaie virtuelle ne sera pas lié à un compte.

Dans une Union Monétaire comme la nôtre où, tous les pays n’ont pas la même puissance économique, cette monnaie numérique est-elle adaptée à nos réalités?

La monnaie électronique virtuelle que va émettre la BRM est relativement adaptée à nos moyens de paiements, surtout si l’on se réfère au milieu urbain où, nous avons déjà une certaine opérabilité entre certains types de paiements. En plus de cela, nous avons les outils techniques pour pouvoir le mettre en œuvre. Mais, il faut toutefois préciser que peut-être en milieu rural, il reste à acquérir tout ce qui relève des NTIC pour que ça puisse fonctionner.


Globalement, quand on regarde l’évolution des moyens de paiements, je pense que nous sommes aujourd’hui à un stade où, cette monnaie peut nous permettre d’augmenter les moyens de paiements parce qu’il faut noter que la monnaie électronique qui existe jusque-là est relativement limitée parce qu’elle ne permet pas de faire des paiements décentralisés. Cette monnaie sera donc la bienvenue et progressivement bien sûr, les milieux n’ayant pas encore acquis les outils de mise en œuvre de cette monnaie vont le faire. Il est important pour la zone UEMOA d’acquérir ce type d’outils dans l’évolution actuelle des marchés financiers.

Finalement, on en est à se demander s’il ne s’agit pas d’une concurrence livrée à la banque traditionnelle vue que les échanges sont numériques. Des craintes existent et le pessimisme aussi se développe autour de cette monnaie.

On pourrait effectivement parler d’une relative concurrence mais, je pense que les segments du marché peuvent être bien exploités de sorte à éviter cette concurrence. C’est dire que la monnaie fiduciaire permet aujourd’hui, un ensemble de paiements (et comme vous l’avez signifié, on peut se demander si elle est réellement adaptée), mais selon les populations en face, les banques sauront à types de clients correspond telle monnaie et comment approfondir, sur un segment donné, l’offre de service financier.

Pour aller dans les détails, l’on dira par exemple que tout le monde ne virera pas instantanément à la monnaie numérique mais ceux qui continueront d’utiliser la monnaie fiduciaire, vont progressivement s’orienter vers cette monnaie numérique pour pouvoir bénéficier de ses avantages. Bien sûr, la monnaie numérique fonctionne beaucoup plus en réseau, c’est donc aux promoteurs de faire en sorte que cette monnaie soit autant fiable que les billets de banque. De sorte que l’adhésion ou l’augmentation de la taille du réseau puisse se faire de façon continue.

Dans notre Union Monétaire, on sait que le taux de bancarisation est très faible. La Côte d’Ivoire par exemple, est autour de 15%. Cette monnaie peut-elle contribuer à relever ce taux de bancarisation ?

Bien sûr, et c’est en cela qu’il est intéressant d’obtenir cette monnaie numérique virtuelle parce qu’il n’y a pas que le taux de bancarisation. Il y a aussi ce qu’on appelle le taux d’inclusion financière et c’est  cette inclusion financière qui est faible et qui fait qu’on n’a pas suffisamment une certaine efficacité au niveau des marchés des capitaux et aussi des marchés d’assurance, en gros des marché du crédit.


Avec le développement des services financiers, est apparu récemment le micro-crédit, la micro-épargne et la monnaie virtuelle va vulgariser beaucoup plus cela et on pourra avoir des systèmes de microcrédit et de micro assurance relativement développés. C’est ce qui va permettre d’avoir un approfondissement du marché financier et cela débouchera sur plus de transactions, plus d’échanges. Pour l’intégration au sein de l’UEMOA, cela est relativement important.

Ces comptes ne sont pas liés aux comptes traditionnels en banque, alors comment cela participe-t-il à relever le taux de bancarisation ?

La monnaie virtuelle n’est certes pas liée au système classique, pour dire que ce n’est pas le système classique qui émet la monnaie et qui permet de faire des transactions. Mais, ça reste tout de même un système où tous les moyens de paiements existant au sein de l’UEMOA, seront interopérables. Cela signifie que si vous détenez la monnaie virtuelle, vous pourrez acquérir d’autres types de monnaies qui existent aujourd’hui. Tout comme vous pourrez décider de transférer directement votre monnaie virtuelle dans votre compte.

Les marchés financiers sont inter-reliés de sorte que, si cette monnaie permet en fait, d’avoir plusieurs types de transactions, bien évidemment, cela va avoir des retombées sur l’ensemble des banques et même sur l’ensemble des autres monnaies électroniques.


La finalité, c’est d’avoir une inclusion financière relativement importante. Et plus les agents ont accès aux services financiers (pas seulement les services bancaires), alors cela profite aux services bancaires, aux services non bancaires et à toute l’économie.

A vous entendre, c’est une monnaie importante qui a beaucoup d’avantages. Pourriez-vous revenir de façon plus explicite, sur les avantages de cette monnaie ?

Cette monnaie, lorsqu’elle est régulée de façon efficace, a des avantages relativement importants. Entre autres, l’on citera la diversification des moyens de paiements. C’est dire que le fait d’avoir une pluralité de moyens de paiements, donne plus de possibilités de régler les transactions et plus de possibilités à l’économie pour pouvoir effectuer des échanges avec l’extérieur et, cela devrait contribuer à plus d’intégration économique.

Il y a aussi le fait que le taux de l’inclusion financière va augmenter parce que la dématérialisation de la monnaie permet tout simplement de mieux décentraliser de sorte que les agents interagissent entre eux sans passer par le système classique. Cela donne de la rapidité aux transactions et contribue à l’augmentation du volume des transactions effectuées. Il y’aura beaucoup de microcrédits, de micro assurances et tout cela est important pour notre société.

Il y a aussi le fait que les marchés des capitaux vont être beaucoup plus efficaces. Il y aura beaucoup plus de liquidité parce que les agents épargnant beaucoup plus; il y a aura beaucoup plus de prêts. Le fait qu’on aura une inclusion relativement poussée, permettra aux agents de bénéficier de nombreuses possibilités de crédits. Tout cela va permettre un fonctionnement beaucoup plus efficace des marchés financiers et relever le défi de l’augmentation du crédit dans nos sociétés où, l’accès au crédit pose par exemple un certain nombre de problèmes aux PME et aux individus.

Voilà un ensemble d’éléments qui pourraient contribuer à renforcer l’intégration économique au sein de l’UEMOA et entre les différents pays membres de cet espace.

Avant le e-CFA, il y a eu les expériences de e-Dinar ‘ Bitcoin, Ester, ce n’est donc pas nouveau mais l’institut de la finance numérique, Hélix, a indiqué qu’il existe des vulnérabilités. En Août dernier, le Bitcoin a perdu 37 milliards FCFA, Ester son concurrent a perdu 25 milliards FCFA en raison de la fraude. Comment sécuriser alors ce système numérique de transaction ?

C’est effectivement l’un des principaux défis qui s’imposent aux monnaies virtuelles parce que comme je l’ai expliqué tout à l’heure, c’est un système décentralisé de paiement qui est mis en place. Il est donc difficile de contrôler de façon très efficace un système décentralisé où, chacun pourrait faire la transaction qu’il souhaite. Dans le système classique des banques, vous avez votre compte et il y a un certain nombre d’opérations que la banque peut contrôler.


Mais là, quand vous avez votre portefeuille de monnaie virtuelle, vous êtes libre de faire certaines transactions. Cela devient donc complexe, mais avec le développement de la technologie, je pense qu’il est aujourd’hui possible de pouvoir mettre un minimum de garanties qui vont assurer la sécurité de tout le système de paiement, là où c’est centralisé.


Mon inquiétude viendrait peut-être des données personnelles puisque notre espace est tel que les populations n’ont pas cette éducation financière pour pouvoir gérer et contrôler leurs propres données financières. De sorte que si, un individu venait par exemple à perdre sa monnaie électronique, il serait difficile lorsque le système n’est pas décentralisé, de lui garantir une compensation.


Cela m’emmène à dire qu’il faut mettre en place une éducation financière qui va accompagner cette monnaie, de sorte que même si on arrive à sécuriser la centralisation, que les populations elles aussi puissent  contribuer à mettre en œuvre le contrôle de leurs données personnelles, pour que l’ensemble du système connaisse une relative sécurité et stabilité.

En clair, il existe des vulnérabilités?

Bien sûr qu’il existe des vulnérabilités liées au système et c’est ce qui est d’ailleurs intéressant lorsque la BCEAO n’est pas totalement en marge du phénomène parce qu’il s’agit d’un moyen de paiement, il faut veiller à ce qu’il soit sécurisé.


Sinon, s’il y a une certaine opérabilité avec les autres systèmes de paiements, son insécurité pourrait être aussi source d’insécurité pour d’autres monnaies. Connaissant la technicité et le mode opératoire de la BCEAO, je pense qu’avec la BRM, ils trouveront la réglementation qu’il faut pour qu’on ait une certaine sécurité qui va garantir l’interopérabilité et surtout, qui permettra d’avoir un système beaucoup plus stable. 

 

Propos recueillis par Mayane YAPO, Chargée de la Communication et de la Visibilité de la CAPEC

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